Chaque année, La Maison Louis Jouvet accueille Alexandre del Perugia qui travaille sur une approche très spécifique du métier de l’Acteur.
De courtes Master Classes d’une à deux semaines permettent à l’apprenti comédien d’appréhender et de connaître au mieux ce double, cet autre, ce joueur à qui il doit offrir le plus intime de lui-même tout en préservant ses distances et en conservant ce que Michel Bouquet nomme « l’oeil froid de l’acteur ».
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POINT DE VUE :
Jouer n’est pas simple… quand on a oublié que faire le métier d’artiste c’est – avant tout – jouer et avoir du plaisir à jouer. Ici, la pédagogie d’A.d.Perugia, dédiée à la présence en scène ou en piste, est celle du maître ignorant et de l’accoucheur. Acquérir le doué !
Cet enseignement en huit modules à évolution progressive vise à rendre à l’artiste, pas à pas, les moyens d’une (re)découverte du jeu et du plaisir. L’artiste, de quelque horizon qu’il vienne (danse, cirque, théâtre, musique, marionnette…), est convié à découvrir ainsi son processus de création pour éviter de se scléroser dans des procédés.
ÉMULATIONS ARTISTIQUES EN HUIT PAS :
• Premier Pas / Les outils du Joueur
Ce module propose à chaque joueur des outils pour découvrir et explorer son intime artistique. Ce premier pas dans son pays des merveilles nécessite un travail de coulisses, ici envisagé sous forme de jeux. Jeux de regards et de non-gravité, jeux de conduction osseuse et d’enracinement, jeux de relâchement et de qualité musculaire, jeux sensoriels et de respiration… on s’ouvrira de cette manière les portes de la perception qui mènent l’artiste à sa justesse et sa folie créatrice par les sensations de l’Enfant.
> En vue : tendre vers une meilleure perception du réel sur le plateau
• Deuxième Pas / La dynamique du Joueur
On aurait tort de confiner l’acrobatie au seul bénéfice des acrobates. Comédiens, danseurs, musiciens… découvriront «une méthode d’apprentissage de l’acrobatie qui va au-delà du cirque», confiait Denis Lavant sur le tournage des Amants du Pont-Neuf à propos d’A.d.Perugia. Ce dernier révèle parfois que tout est dit lors de la première journée de ce stage, car son acrobatie enseigne que tout mouvement débute par une intention et non pas par l’idée que l’on se fait d’une forme. De fait, on est convié à apprivoiser ses peurs, à supprimer les jugements que l’on se porte, à être mouvement et non pas posséder le mouvement, et on (ré)apprend par le jeu à marcher, à être à l’endroit, à être à l’envers, à voler…
> En vue : toujours vivre le fond pour dépasser la forme
• Troisième Pas / Le plaisir dans l’espace de jeu
Les joueurs sont incités à entrer dans l’espace de jeu comme dans une cour de re-création. A chacun de créer son jeu, ses règles, d’y faire venir ses personnages, de fabriquer son monde. Dans cet espace-temps du plateau de jeu, tout est possible, ne nous en privons pas ! Explorer de nouvelles pistes, revisiter son écriture, jouer avec des partenaires de jeu… dans un espace où l’objectif initial devrait toujours être de prendre du plaisir. Par les jeux enfantins de transmission orale, le joueur est invité à voyager dans son imaginaire, à affûter ses perceptions et à se mettre en état de jeu, état de plaisir.
> En vue : chercher le jeu comme moteur de plaisir
• Quatrième Pas / Le mouvement juste
Un enfant joue avec sa chaussure : « Vraoum, Vraoum, voiture ! » Approche un adulte, qui l’observe, s’empare de son téléphone portable et tente lui aussi de jouer à la voiture. L’enfant s’interrompt et lui demande : « Qu’est-ce que tu fais avec ton téléphone ? » Pour éviter de faire semblant de jouer sur un plateau et de se couper par là-même de nos perceptions réelles, pour trouver notre joueur, une évidence est inlassablement mise en pratique sur le plateau : être juste, c’est juste être. Une approche holistique (tête et corps), un travail spécifique sur l’olfactif et l’oeil, un référentiel végétal et la notion de mouvement naturel – mais non quotidien – seront en jeu lors de ce Quatrième Pas de la pédagogie d’A.d.Perugia.
> En vue : sentir qu’être juste, c’est juste être
• Cinquième Pas / Expansion et ouverture en piste
L’homme est principalement dans la conscience de son devant /derrière. Le cheval, lui, serait plutôt gauche/droite.
Par des jeux de pistes et d’expansion en circulaire, les joueurs seront conviés à trouver leur centaure. Ce rapport au circulaire amènera progressivement le joueur à faire l’expérience d’une dilatation périphérique à 360°, génératrice d’une meilleure vision (car si je vois ce que je fais, alors le public le verra.). En effet, jouer c’est se penser par le coeur/corps et non par la tête. La vision prime sur l’imaginaire. Une panoplie variée de jeux de relâchement avec cordes, balles, bambous et sacs de sable, tenteront d’amener chaque joueur à sentir l’activement passif sur le plateau.
> En vue : faire l’expérience de son corps relâché pour mieux jouer
• Sixième Pas / Apprivoiser un texte
Comprendre un texte, c’est le faire sien pour mieux l’exprimer ; ceci étant entendu, comment libérer la parole ?!
Peut-être bien en cherchant les mots de corps, et non de tête. Car, enfin, les mots de tête de l’acteur ennuient souvent le spectateur. Traquons les résistances au mot afin d’éviter le piège de l’acteur qui s’écoute parler, parce que réciter n’est pas jouer. Des jeux sur le corps vibratoire, la respiration, sur les voix et les sons, sur les enfantines, sur des textes choisis par les joueurs, permettront à chacun (comédien ou non) de se réconcilier avec le sonore.
> En vue : se réconcilier avec le sonore/le mot
• Septième Pas / Du joueur au spectateur : un lien
Comment passer du joueur au personnage/créature ? Comment cesser d’être coupé de ses perceptions et du public, comment trouver sa sincérité plutôt que l’habileté ? Dans ce septième pas, on s’approchera plus près de libérer sa folie en tant que créateur et d’accéder à son intime de joueur. Au-delà de la parole et du silence, dans l’intime et le secret de l’artiste, dans le dévoilement de sa solitude, dans la mise au monde de son univers, réside le lien au spectateur.
> En vue : dévoiler son intime pour toucher le spectateur
• Huitième Pas / L’artiste : un travail sur l’invisible et non sur la transparence
Tendre vers une perception au plus juste du réel est ici en jeu : au théâtre de la transparence, préférons le théâtre de l’invisible. Ne montrons rien, laissons voir. Pour accéder au réel et à son intime de joueur, il convient de mesurer combien ce que nous tenons pour la réalité n’est pas le réel. Le jeu de l’artiste étant de se libérer du conscient et du non-conscient, il s’agit de toujours débusquer le réel de la situation derrière la réalité offerte aux sens. Osons travailler sur l’invisible ! C’est ainsi que le joueur agira sur un plateau sans se contrôler, laissant échapper paroles et mouvements, touchant à sa justesse et touchant le spectateur.
> En vue : mieux appréhender l’espace-temps complexe de l’artiste