• ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D'ART DRAMATIQUE DE MONTPELLIER

ENCABANÉE // Lou Martin-Fernet

ENCABANÉE // Lou Martin-Fernet

ENCABANÉE // Lou Martin-Fernet 1000 666 ENSAD Montpellier

ENCABANÉE // Lou Martin-Fernet

Du 11 au 15 décembre 2023

 

D’après le texte de Gabrielle Filteau-Chilba.

Encabanée, paru en 2018, est un roman québécois de Gabrielle Filteau-Chibeau, le premier d’une trilogie où suivront Sauvagines puis Bivouac. Dans ce court récit fictionnel mais fortement inspiré de son expérience, l’autrice raconte l’hiver où elle a choisi de quitter son emploi à Montréal pour aller vivre seule dans une cabane sans eau ni électricité dans la région du Kamouraska. Entre journal de bord d’isolement et manifeste profond, Gabrielle Filteau-Chibeau livre sa rencontre avec cet environnement hostile, sa prise de conscience politique et écologique, le bouleversement intime généré par ce confinement volontaire.

J’ai découvert ce texte et il y a eu un désir évident de raconter cette histoire-là, parce qu’elle a agi sur moi comme une source possible où puiser du sens et de la force brute, dans une période actuelle où il est difficile d’en trouver. Depuis longtemps je voulais parler des populations autochtones canadiennes et des groupes militants qui luttent sur place contre les lobbys pétroliers, mais je ne voulais pas m’inscrire dans une démarche uniquement documentaire. Je voulais aussi parler de solitude et d’ensauvagement comme processus d’apaisement, mais je ne voulais pas d’une approche dogmatique… La découverte de ce roman a été pour moi une convergence de ces préoccupations.

Je ne sais pas encore comment faire théâtre avec ce texte et ces questions… Je vais m’atteler d’abord seule à travailler ce récit comme un monologue, puis inviter, sans doute dans un prochain temps de résidence, des créateurs musicaux et de lumière à venir créer avec moi. Peut-être que cette première résidence révèlera un besoin de sortir du théâtre et de dire ces mots dehors, sous la neige et par grand vent, pour qu’ils prennent toute leur valeur. Peut-être au contraire vais-je comprendre comment le théâtre peut devenir la cabane de l’autrice.

 

Lou Martin-Fernet

 
 
Extrait
 

“J’ai aimé cet endroit dès que j’y ai trempé les orteils. L’eau du puits, limpide et fraîche, goûtait le sapinage. Il y avait aussi ce silence qui laissait place la nuit à la chorale d’animaux sauvages et au bruissement des feuilles de peupliers faux-trembles. Je pouvais posséder toute une forêt pour le prix d’un appartement en ville… alors j’ai fait le saut. Le rêve d’habiter le territoire, de revisiter nos racines, et la frugalité, surtout. (…)

Jamais je ne me suis sentie aussi libre. Dans la nuit noire, quand je glisse sur la patinoire de mon verre d’eau renversé et qu’un froid sibérien siffle entre les planches. Et je m’emboucane dans la cabane comme prisonnière de l’hiver ou prise en mer sans terre en vue, les hublots embués, les idées floues. Tragique, la beauté des arbres nus me donne envie d’écrire, de sortir mon vieux journal de noctambule. Le vent porte l’odeur musquée des feuilles mortes sous la neige, et j’attends un printemps précoce comme on espère le Québec libre. Les écorces d’orange sur le poêle encensent la pièce d’un parfum camphré, comme le vin chaud à la cannelle le soir de Noël. Souvenirs d’avant la croisée des chemins où j’ai tourné le dos à tout ce qu’il y avait de certain, pour foncer là où il y a plus de coyotes que de faux amis.”

 

© photo Sevket Duman